Il est très tard lorsque Jillian saisit son téléphone et pianote à la vitesse de l'éclair sur le clavier sombre de son blackberry. Elle sait que Lil répondra, elle sait que toujours l'épouse du Diable se rend disponible pour les propositions nocturnes qui se présentent à elle.
" On va boire un coup ? Les étoiles comme plus vieilles amantes, Jillian se vautre dans le néant de l'horizon, prise par ce soudain besoin de captiver sa vie. Tout y est bon. Elle ne recule devant rien, la sorcière au doux visage, pour avoir l'illusion de contrôler le monde. Lâcher prise sur les déviances de l'univers, prendre possession du cosmos dans sa toute divine plénitude.
Elle a le pétard bien trop chargé au creux de la main, brûle sa gorge d'une goulée d'un mauvais rhum, noyer l'attente jusqu'à ce que le blackberry se mette à vibrer d'un
oui positif.
Et le sourire qui se fige sur le visage de Jillian ne trompe pas : Lil a répondu à l'affirmative. Oui, nous allons boire un coup. Mais il y a bien plus que ça dans ce message, implicite poétique qu'il nous faut retranscrire.
Oui, nous irons s'échouer au bord des quais comme de vulgaires étudiantes immatures, refaire le monde sous les étoiles, s'étouffer de lattes enfumées, disparaître du réel pour se vautrer dans les méandres de l'univers, agoniser, sombrer dans la nuit noire et devenir des spectres providentiels.Elle ne tarde pas à choisir sa tenue, longue robe verte aux épaules dénudées, indécemment séduisante et colorée comme un phare dans l'obscurité. Elle ne sera pas l'espoir, ce soir, elle se vautrera dans les abysses du danger, besoin viscéral de nouvelles expériences, d'aventures inquiétantes et singulières.
Elle n'a rien du calme verdoyant de la nature, elle a le tempérament du feu, et cache ses brasiers sous le masque de la platitude. Maquillage léger, elle se juche sur ses talons hauts comme pour mieux dominer son monde, s'affirmer dans l'horizon ; et passe la porte de son appartement. Comme toujours, comme un rituel savamment ficelé, elle prend la route du rooftop du midnight sun, bar dans lequel les deux femmes ont décidé depuis l'université d'installer leurs maigres bagages. Il faut dire qu'il offre le luxe d'un rooftop avec vue sur le lac des plus plaisants, et que le patron ne s'embarrasse pas de faire sortir les fumeur.ses.
C'est en terrasse que Jillian s'installe, visible depuis la mer avec sa robe au satin vert. Elle est plus lumineuse que les étoiles et aussi confuse que l'avenir. Elle est tout, mais aussi rien. La femme aux deux visages.